Monday, August 31, 2015

Lire un roman : Entre coeur et raison




Je me considère comme une lectrice passionnée de romans. Depuis 2012, j’ai lu 134 livres parmi lesquels 56 romans c'est-à-dire 40% de mes lectures sont des romans.  Il est vrai que je lis tous les types de livres qui tombent dans mes mains, ou recommandés par mes amis, ou conseillés par les penseurs et écrivains auxquels je m’intéresse afin de répondre à une question,  ou comprendre un problème,  ou apprendre une technique … Cependant, et pour être honnête, pour moi rien ne peut égaler les moments de plaisir que je passe en me plongeant dans la lecture d’un bon roman quelque soit son type. Certains de mes amis me disent que c’est une perte de temps. Pour eux, dans les romans on ne trouve ni vérité, ni objectivité. De plus, on passe des heures voire des jours à les lire alors que le temps est précieux. Consacrer des heures et des heures juste pour le plaisir ne semble pas une affaire raisonnable. 

Or, la lecture des romans est-elle vraiment une perte de temps? Cherche-t-on seulement le plaisir en lisant un roman?

J’avoue que ce n’est pas facile pour moi de répondre objectivement à ces questions. Évaluer l’utilité ou mesurer l’influence d’une activité humaine devrait être scientifique et  méthodique. Cependant, en écrivant ces lignes, je compte simplement exprimer mon avis personnel, partager une partie de mon expérience. Il ne s’agit pas d’une vérité. C’est plutôt un récit personnel pour présenter un jugement subjectif.

Lire un roman : C’est rêver les yeux bien ouverts…

« Ici-bas, on ne peut jamais vivre son rêve, la vie est si petite et le rêve si grand. »
Antoine de Saint-Exupéry auteur de "Le Petit Prince"



La lecture est une passion que je garde depuis ma plus tendre enfance. Les premiers livres que j’ai lus sont les contes d’enfants de l’égyptien «Mohamed Attia Abrachi» édition  « Almaktaba Alhadita li Al Atfal ». Ces contes ont attisé mon appétit pour la lecture dans un âge précoce. A l’époque, je lisais plus que je mangeais. La magie qui se dégage de ces contes m’avait appris à rêver, à imaginer et à penser. Dès lors, je devenais très attachée à ce type de livres. Grâce à ces lectures précoces, mon esprit a appris à s’évader, à s’envoler en toute liberté vers des horizons lointains, conquérir des mondes imaginaires, fréquenter des personnages mythiques,  tout en m’allongeant sur le lit ou en m’asseyant tranquillement sur une chaise.

Je continue à exercer ce rituel fantastique, jusqu’aujourd’hui afin de me libérer des chaines d’une réalité absorbante avec ses détails quotidiens ennuyeux, et me procurer ainsi une liberté d’esprit qui ne s’avère possible que dans les réalités fictives des romans.

Rêver : En quoi est-ce utile, peut-on se demander ? En fait, le rêve nous permet de dépasser nos limites imposées en poussant le cerveau à fonctionner avec ses capacités absolues pour exploiter ainsi la zone de la créativité cachée par le voile de la réalité banale et routinière.

Rêver est un exercice fantastique qui rajeunit l’esprit et développe les capacités du cerveau. On peut aller plus loin encore en affirmant  que  les rêves ont un impact important sur notre propre existence.

Rêver c’est déjà changer sa réalité présente puisqu’il défie nos limites et crée un monde différent du nôtre. Rêver est ainsi le premier pas vers le changement.

Lire un roman : C’est converser, critiquer, développer ses compétences linguistiques …

« Les vrais grands écrivains sont ceux dont la pensée occupe tous les recoins de leur style. »
Victor Hugo



Un roman est bien plus que le récit d'une histoire. Il contient des idées plus profondes et l'histoire n'est bien souvent que la mise en scène de la pensée de l'auteur. Dès lors, lire un roman est un exercice de pensée. Il s’agit de converser avec des auteurs du passé et du présent, analyser leur interprétation des événements historiques, explorer les profils psychologiques et idéologiques des personnages et leur appréhension de la réalité … Cet exercice permet au lecteur dans certains romans de découvrir les idéologies cachées derrière les lignes, connaître les motivations de l’auteur via le texte et recueillir des informations relevant de plusieurs domaines. La lecture des romans s’avère aussi un outil efficace pour développer l’esprit critique du lecteur via l’analyse des idées et des événements, des situations et des réactions des personnages, des sorts infligés et des fins imposées …Un roman ne parle pas seulement à notre cœur mais aussi à notre intelligence.

De plus, il y a l'aspect linguistique et stylistique. En lisant les romans, on développe ses compétences linguistiques écrites et orales sans même s’en apercevoir. Loin de faire l’éloge de soi, je tiens  simplement à donner un exemple de mon vécu. En ce sens, je prétends avoir récolté le fruit de cette passion très tôt au cours de mon parcours scolaire. En effet, durant les deux années des classes préparatoires, nous avions un programme en français qui consiste à lire trois romans durant l’année et qui concernent un thème bien précis. Les examens étaient sous forme de dissertations sur un sujet relavant de ce thème et en se basant sur les romans du programme. Non seulement, j’ai trouvé l’exercice facile mais très amusant. Vu que le programme de ces deux ans était trop chargé, l’ambiance était infernale. Les seuls moments de défoulement de la semaine étaient durant les séances du français,  lorsqu’on discutait les œuvres programmés à savoir Frankshtein de Marry Shelly, Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar, W ou souvenir d’enfance de Georges Perec et d’autres encore. Mes deux professeurs du français étaient à la fois ravis et surpris du zèle que j’affiche et de l’importance que je donne à leur matière contrairement à mes collègues mathématiciens.

Lire un roman : C'est voyager avec son esprit à travers un esprit

« Certes, un rêve de beignet, c’est un rêve, pas un beignet. Mais un rêve de voyage, c’est déjà un voyage. » 
Marek Halter



Je me souviens bien de la deuxième fois que j’ai visité Barcelone, j’avais à peine terminé l’œuvre  magique de Zafon appelé « L’ombre du vent ». Ce roman était comme un voyage dans la Barcelone de l'après-guerre civile. Cette visite avait un goût différent de la première fois. En descendant la Rambla et en montant les hauteurs de Mont Juic, j’avais l’impression que je vais croiser Daniel Sempere en compagnie de son père sortant de la bibliothèque des livres oubliés. Je me promenais dans les environs de la place Catalounia en ayant l’esprit hanté par des images inspirées du roman. C’est un peu de la folie. Mais enfin de compte, c’est quoi au juste l’écriture ? Sinon un état de folie d’un esprit, qui construit des mondes inexistants et des vies imaginaires, et celui qui passe des heures à conquérir ces mondes n’est qu’un voyageur errant d’une page à une autre suivant l’auteur dans sa propre folie, en  s’échappant avec les personnages, voyageant dans le temps et visitant des endroits impénétrables. Lire un roman, c’est voyager dans un esprit d’un autre humain et s’approprier ses points de vue, ses émotions et ses valeurs.

Il est à noter aussi que dans certains romans, les descriptions des lieux sont très précises. L’auteur vous emmène à une promenade dans les rues des villes que vous n’avez jamais visitées. Il vous fait découvrir des détails concernant des places et monuments qui vous échapperaient même si vous étiez sur place. Dans ce sens, certains romans contemporains comme ceux de Dan Brown, Guillaume Musso ou Marc Levy, sont des œuvres qui vous mettent sur des tapis magiques et vous font découvrir plusieurs lieux. Parfois, ils vous font entrer par des portes auxquelles vous ne pouvez jamais accéder dans la réalité. Sans oublier bien sûr de noter que ces romans regorgent de plusieurs informations historiques sur ces lieux, leurs traditions et leur patrimoine culturel et artistique.

Lire un roman : Une vie de plus

« Je lis parce qu’une seule vie ne me suffit pas »
ABBAS Mahmoud AL AKKAD



Un roman est d’abord un travail d’imagination et sa lecture l’est aussi. Cependant, derrière le volet fictif du roman se cache une réalité voire plusieurs. De ce fait, la lecture des romans, nous permet de procurer de plusieurs vies et d’expérimenter différentes situations que nous ne pouvons pas vivre dans la réalité. Elle nous plonge dans les profondeurs de notre condition humaine et nous confronte à la complexité de nos émotions et nos sentiments via l’incarnation de plusieurs rôles différents du nôtre. En ce sens, le lecteur se trouve dans plusieurs peaux, d’un policier, un criminel, un père, une mère, un roi, un clochard …

Ce que je trouve fabuleux, c’est de pouvoir vivre des vies dans le passé ou le futur lointain et dans des pays et civilisations éloignés. En lisant l’Odyssée d’Homère, Médée de Sénèque, le Marchand de Venise de Shakespeare, les Misérables de Hugo ou autres, on a le pressentiment qu’on un a effectué un voyage dans le temps, et vécu le quotidien des personnages éloignés dans l’histoire et géographie. Certes, je ne prétends pas qu’un roman remplace un livre d’histoire ou de sociologie ou autre. Cependant, un roman donne une dimension émotionnelle à nos lectures sérieuses sur l’histoire, la philosophie, la sociologie ou autres qui interpellent souvent notre raison et rarement nos sentiments et émotions. Cette nouvelle dimension est à mon avis indispensable pour pouvoir juger habilement les idéologies et les mutations historiques et sociologiques. On ne peut pas négliger le rôle des sentiments et les émotions et leur influence sur le cours de l’histoire humaine. Les guerres par exemple ne sont que la mise en scène de la peur et l’avidité de l’homme. Comme titre d’exemple, plusieurs romans parlent des guerres mieux que n’importe quel livre d’histoire. Via un roman, on se voit impliqué voire rangé par tous les images et les horreurs qu’il relate. En ce sens je ne peux m’empêcher de penser au roman fabuleux de Ghassan Kanafani, les hommes dans le soleil, et me rappeler de la colère et l’amertume que je ressentais à la fin de l’histoire ainsi que les nombreuses projections que j’ai faites des évènements sur la réalité présente, malgré que le roman parle d’une période éloignée de l'occupation de Palestine. J’étais avec les personnages dans le camion, je sentais leur soif, je partageais leur angoisse et j’avais tout comme eux un espoir d’une fin plus heureuse que celle imposée par l’auteur par honnêteté ou par réalisme, lui qui a subi le même sort que ses personnages inventés, car lui aussi il a été tué par les Sionistes à cause de ces vies qu’il a osées inventer dans ses romans.

Lire un roman : Une confrontation de soi

« Un livre est un miroir où nous trouvons seulement ce que nous portons déjà en nous, que lire est engager son esprit et son âme, des biens qui se font de plus en plus rares. »
Carlos Ruiz Zafon dans "L’ombre du vent"



En lisant les romans, on cherche à mieux se connaître. Le roman enrichit l’appréhension de la réalité via la fiction. Chaque roman qu’on lit reflète un côté de l’être humain et la vie en général, et intuitivement le lecteur le projette souvent sur sa réalité voire sa personne. Lire un roman est souvent plus profond que de se regarder dans un miroir. Les personnages des romans sont souvent des personnes ordinaires mais dans des situations exceptionnelles. Ce sont des personnes  qui  nous ressemblent avec tous nos fragilités, nos valeurs, nos hontes,  nos déceptions et nos espoirs. Ce qui nous donne l’impression que les évènements de l’histoire se passent en nous. L’auteur est le créateur du roman mais chacun des lecteurs l’enrichit avec  une partie de lui-même.

Le roman fait appel parfois à la réflexion sur les qualités et les défauts de l'homme, ou propose des modèles avec toutes les déformations et les perfections qu’ils présentent. Cela pousse le lecteur explicitement ou implicitement à se poser des questions sur sa situation à lui, quelle sera sa réaction dans une telle ou telle situation, quelle attitude adoptera-t-il pour s’en sortir de tel ou tel problème. A mon avis, cela nous aide à développer une certaine connaissance de soi et nous permet de mieux connaitre les différentes mentalités et caractères  humains.

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En conclusion, j’aimerais rappeler d’abord que dans le texte en cours, je voulais partager avec vous mon vécu loin des réalités objectives ou scientifiques. Je peux affirmer même que c’est un récit personnel sur une pratique personnelle, qui consiste à voler des heures de solitude pour les consacrer dans la lecture d’un bon roman avec toute la subjectivité que contient le mot bon et la pluralité même du mot roman.

D’abord, parce que juger un roman par bon ou mauvais est très relatif et dépendant du lecteur, de son profil, de ses attentes, de ses croyances et de ses goûts. Ensuite, Le mot roman est pluriel en lui-même. Loin des définitions littéraires et des explications académiques, et pour être simple, il est clair que nous ne pouvons pas considérer les œuvres de Victor Hugo, Alexandre Dumas, Najib Mahfoud, Ghassan Kanafani, Amine Maalouf, Georgi Zidane, Agatha Christie, Dan Brown, Guillaume Musso, Paulo Coelho par exemple comme s’ils appartiennent tous à la même catégorie appelé tout simplement roman. Il est vrai que le mot roman est employé pour désigner un genre d’écriture qui cherche à passer des messages via la mise en scène des idées et croyances sous forme de vies et de mondes imaginaires tandis que les autres livres prétendent adopter des méthodes objectives dans l’argumentation des idées et l’analyse des évènements. Cependant, ils existent plusieurs types de roman à savoir autobiographie, thriller, policier, romance, mystique… A mon avis, il y a une seule chose commune à tous les types de romans : Ils ont tous une partie de la fiction. Même les romans biographiques contiennent de la fiction puisqu’ils relatent eux aussi des expériences personnelles lointaines. Et déjà le fait d’écrire est une manière de représenter une réalité ayant plusieurs dimensions selon une vision plate de l’auteur.

Enfin, je rappelle qu’il faut fournir un effort de recherche sur l’auteur et la critique du roman avant de le lire pour ne pas regretter d’avoir investi tant de ressources précieuses dans une mauvaise affaire. Bien que parfois il est utile de lire des mauvais livres pour apprendre à apprécier la créativité et apprendre à différencier entre l’originalité et le copiage, l’excellence et la médiocrité.

Et vous, qu’en pensez-vous ? Vous amusez-vous en lisant les romans ? Trouvez-vous une justification raisonnable du temps, de l’argent et de l’effort que vous consacrez à la lecture  d’un roman ?

A vous!


Rachida KHTIRA

Software Engineer at the Moroccan Ministry of Finance.
Interests: Reading, travel and social activities.